Le professeur Rogue et la fatigue de compassion, un exemple tiré de la fiction

Ahskendrick/ December 9, 2022/ HEARTcare

Originale Par Astrid Kendrick, EdD, translation by Aurelia Mir-Orefice and reviewed by Emilie Marceau Briggs

Au cours des dix-sept derniers mois, j’ai étudié l’ampleur de la fatigue de compassion et de l’épuisement professionnel chez les travailleurs de l’éducation de l’Alberta. Les conclusions de 53 entrevues et trois sondages en ligne auxquels ont répondu plus de 4000 personnes sont claires. Cinquante-trois pour cent des répondants ressentent de la fatigue compassionnelle et plus de 80 % présentent au moins deux symptômes d’épuisement professionnel.

La fatigue compassionnelle est le coût de la prise en charge, soit l’épuisement émotionnel et mental ressenti par un soignant qui s’occupe d’élèves ayant vécu un traumatisme. L’épuisement professionnel est le résultat d’un stress à long terme non atténué, et ces deux problèmes de santé mentale sont des risques professionnels dans les professions de soignants. En tant que soignants, les enseignants et autres travailleurs de l’éducation sont censés fournir le travail émotionnel nécessaire pour que leurs classes et leurs écoles soient des environnements sûrs, heureux et bienveillants pour les élèves, quel que soit leur état émotionnel ou mental.

Mais la question « et alors ? » me revenait toujours à l’esprit. Pourquoi les parents et les autres membres de la communauté devraient-ils se soucier du fait que des travailleurs de l’éducation, comme les enseignants, les directeurs d’école et les assistants d’éducation, souffrent de problèmes de santé mentale ? Après tout, la plupart des gens souffraient de divers problèmes pendant la pandémie de COVID-19, alors pourquoi les travailleurs de l’éducation seraient-ils différents ?

Ma réponse :  Personne ne devrait souhaiter que le professeur Rogue enseigne à leur enfant.

Le syndrome de Rogue : Quand la fatigue de la compassion et l’épuisement professionnel se heurtent

Le professeur Rogue, de la série Harry Potter, est une caricature fictive qui constitue une bonne métaphore de la collision entre la fatigue compassionnelle et l’épuisement professionnel. En conséquence, il cause beaucoup plus de mal que de bien à ses élèves.

Depuis la première interaction décrite entre Rogue et Harry dans Harry Potter et l’école des sorciers et jusqu’au dernier chapitre de Harry Potter et les reliques de la mort, le lecteur croit que Rogue est un professeur méchant, au cœur froid et ricanant, qui ne se soucie de personne d’autre que de son cher Serpentard.

« Lors du banquet de début d’année, Harry avait senti que le professeur Rogue ne l’aimait pas beaucoup. À la fin du premier cours de potions, il se rendit compte qu’il s’était trompé: en réalité, Rogue le haïssait. » (Harry Potter et l’école des sorciers, p. 145)

À travers les sagas du jeune sorcier, le lecteur comprend Rogue à travers les yeux d’un enfant. Ce n’est que vers la fin de la série que l’on se rend compte que la réaction de Rogue envers Harry était une réaction à un traumatisme. Son caractère froid et apparemment malveillant est une stratégie d’adaptation à un traumatisme qu’il a lui-même vécu. Depuis le moment où il a vu Lily tomber amoureuse de James Potter, son bourreau d’enfance, jusqu’à celui où il l’a traitée d’épithète raciste « sang de bourbe », ce qui a conduit à la destruction de leur amitié, en passant par son incapacité à lui sauver la vie contre Voldemort, Rogue était porteur d’un traumatisme destructeur qui l’a rendu incapable de fournir le travail émotionnel calme, attentif et compatissant nécessaire à la construction d’une culture de classe réussie.

Des larmes coulaient au bout de son nez crochu tandis qu’il lisait la vieille lettre de Lily… Rogue prit la feuille qui portait la signature de Lily et toute son affection, et la fourra à l’intérieur de sa robe. Puis il déchira en deux la photo qu’il tenait également à la main… après avoir jeté par terre, sous la commode, le morceau qui montrait James et Harry… (Harry Potter et les reliques de la mort, p. 562)

es interactions cruelles avec Harry découlent de son expérience vécue du traumatisme, un facteur de risque de fatigue compassionnelle (anglais seulement), et celles-ci sont accentuées par le manque de reconnaissance, un symptôme d’épuisement professionnel (anglais seulement), qu’il a ressenti par la réticence de Dumbledore à le promouvoir à son poste d’enseignant tant convoité : la défense contre les forces du mal.

La culture de sa classe était fondée sur la peur, le favoritisme et, bien qu’il ait été une victime, sur l’intimidation. Plutôt que d’utiliser son expérience pour aider ses élèves à s’épanouir, Rogue perpétue le traumatisme qui lui a brisé le cœur au départ.

Et si Dumbledore, McGonagall ou une autre personne de confiance était intervenu plus tôt auprès de Rogue ? Et s’il avait traité sa propre fatigue de compassion et son épuisement avant de rencontrer Harry ? Aurait-il pu être un enseignant plus efficace ?

Prévenir le syndrome de Rogue : planification HEARTcare pour les éducateurs

L’une des conclusions de mon étude de recherche est que la fatigue de compassion et l’épuisement professionnel peuvent être à la fois prévenus et traités grâce à plusieurs interventions. Les interventions clés (anglais seulement) sont liées à la construction d’une culture scolaire positive, à la priorité donnée au bien-être par les dirigeants du système et les décideurs politiques, à la mise en œuvre de stratégies de soins personnels par les individus, à l’accès à l’aide d’experts en cas de besoin, et à la compréhension du travail unique de crise et de traumatisme fourni par les travailleurs de l’éducation pour s’assurer que des mesures peuvent être prises après un événement traumatique.

Dumbledore sait pertinemment que Rogue a des antécédents traumatiques, mais il ne fait pas grand-chose pour l’encourager à se faire soigner. En fait, il a utilisé Rogue comme agent double auprès des partisans de Voldemort et a peu fait pour intervenir lorsque Rogue a fait de Harry et Drago Malefoy des ennemis. Plus tard, nous apprendrons que Rogue a supplié Dumbledore de lui confier différentes missions et tâches, mais que ce dernier a insisté pour que Rogue suive ses instructions. Dans un environnement de travail aussi toxique, Rogue a déversé sa colère sur ses élèves, agissant avec malice et sans tenir compte de leur détresse, de la même manière que sa propre détresse a été ignorée.

À un niveau systémique, le ministère de la Magie n’a pas fait grand-chose pour aider Poudlard lorsqu’il est devenu évident que Voldemort était de retour et que les enfants étaient en danger. Au lieu de fournir de l’aide et des ressources supplémentaires pour assurer leur sécurité, le Ministère a ignoré l’urgence en agissant comme si elle n’existait pas, laissant ainsi les enfants et leurs professeurs se débrouiller eux-mêmes. En raison de l’absence de directives, Harry a pris les choses en main dans Harry Potter et l’Ordre du Phénix en créant le groupe secret de l’Armée de Dumbledore et en enseignant aux autres élèves la défense contre les forces du mal.

Il semble clair que Rogue est malheureux et qu’il ne porte pas attention à lui-même en employant des stratégies de soins personnels. Quelques exemples incluent la description de sa peau pâle et moite, le peu d’attention qu’il porte à son alimentation, le fait qu’il passe peu de temps à l’extérieur, qu’il semble avoir peu de relations de confiance et peu d’occasions de soulager sa détresse en parlant à un ami ou un collègue.

Rogue ne bénéficie pas d’un développement professionnel adéquat ou d’une thérapie spécialisée pour surmonter son traumatisme avant d’essayer de jouer le rôle de professeur et de mentor pour Harry. Il n’a pas eu recours à l’aide d’experts pour surmonter son traumatisme et ce n’est qu’à la toute fin de sa vie qu’il donne enfin à Harry un aperçu des raisons derrière son comportement froid et méchant.

À ce moment-là, bien sûr, il est trop tard.

En raison de l’absence d’interventions systémiques, scolaires, professionnelles et individuelles, le professeur Rogue n’a pas obtenu le soulagement dont il avait besoin pour devenir un bon professeur. Au lieu de cela, il a perpétué le cycle de la violence dans ses classes en étant émotionnellement distant et méchant.

Ce dont il avait besoin, la nuit où Lily a été tuée, c’était que quelqu’un lui demande : « Est-ce que ça va ? Comment puis-je t’appuyer ? », mais ce n’est pas arrivé. Il aurait bénéficié de la thérapie, de collègues bienveillants et de temps pour récupérer avant d’être placé en position de pouvoir sur des étudiants. Bien sûr, le professeur Rogue est un personnage fictif et délibérément méchant nécessaire à l’intrigue. Mais il fournit un exemple extrême de la raison pour laquelle il est important de se préoccuper de la fatigue et de l’épuisement des éducateurs.

Les élèves sont influencés par la santé mentale et émotionnelle des adultes qui font partie de leur vie. La meilleure solution consiste à faire en sorte que les enseignants et les autres travailleurs de l’éducation restent positifs, attentifs et compatissants grâce à une communauté et des politiques gouvernementales favorables.